Aujourd’hui près de la moitié du temps de travail s’opère à distance. Les résistances des organisations sceptiques à la mise en place à grande échelle du télétravail ont été balayées par les années covid.
Les JO sont un bon indicateur de cette nouvelle norme : les salariés – tout du moins en Ile de France – sont fortement incités à du télétravail à 100% sur les deux mois d’été. Et cela nous paraît naturel.
Cette nouvelle donne souvent magnifiée masque d’autres phénomènes, plus troublants, tant pour les entreprises que pour les collaborateurs eux-mêmes.
Comme toujours, au premier rang de tous ces bouleversements on retrouve les managers. Ceux-ci, tels des acrobates, doivent réussir leur propre transition et en même temps accompagner leurs équipes dans ce nouveau modèle d’organisation du travail. Ce qui faisait un bon manager en présentiel n’est plus suffisant pour l’être avec la mise à distance des équipes. Les managers ont une certaine habitude à gérer la contrainte et les paradoxes de l’entreprise mais ces derniers n’ont jamais été aussi nombreux et aussi forts.
Le télétravail induit de facto une distance entre managers et leurs équipes. Tandis que les collaborateurs nourrissent des doutes sur ce que l’on attend d’eux, les managers mesurent plus difficilement le travail réellement accompli. Avec pour conséquence, soit d’ajouter indûment de la charge de travail sans en mesurer l’ampleur ou plus rarement l’inverse, ne pas en donner assez. Dans les deux cas, on risque la démotivation par la surcharge ou par l’ennui qui peuvent conduire au burn out ou au bore out.
Autre piège pour le management, l’hyper-contrôle, piège dans lequel la nature humaine tombe souvent pour remplacer la confiance par la preuve. Avec une conséquence directe : la sensation d’être « fliqué » et de vivre la performance sous une contrainte inutile. L’effet induit est tout aussi catastrophique si le manager tombe dans le laxisme ou le laisser aller. Le manque de cadre et de rigueur avec son cortège d’injustices ou de transgressions des règles dynamiteront la cohésion d’équipe.
Autre risque qui peut s’étendre : le brown out. La diminution des relations régulières entre le collaborateur, son équipe, son manager, ou l’entreprise si on n’y prend pas garde peut conduire à la perte de sens. Chaque individu ayant besoin de connaître et comprendre comment il contribue par son travail au développement de l’organisation.
La confiance interpersonnelle s’appuie donc sur un apprentissage fait d’engagements mutuels, de signes que l’on échange pour prouver sa confiance. Cette confiance, fondement de toutes communautés, se vérifie d’autant plus que ses membres vivent à proximité. L’exemple de la famille est le plus parlant.
Partant du postulat que proximité et confiance sont intriquées, recréer « à distance » un lien fort entre manager, équipes et collaborateurs est donc crucial.
La technologie apporte son lot de solution mais pour autant est-ce suffisant ?
Quelle distance, quelle proximité avec l’équipe ? Les managers doivent donc se réinventer et vite !
Sont présentées ci-après quelques principes et bonnes pratiques susceptibles d’apporter un éclairage et des solutions à tout manager confronté au travail hybride.
Les 4 clés du management hybride
1. Définir avec son équipe les règles du jeu
Les accords de télétravail dans les entreprises accordent souvent une marge de manœuvre importante aux managers dans leurs mises en application. Les entreprises confient à leurs bons soins la gestion des temps en présentiel et en distanciel et c’est tant mieux tant pour l’agilité de l’équipe que pour sa productivité. Mais cette organisation ne s’improvise pas : décréter que les réunions de brainstorming, d’idéation, de prise de décisions doivent se faire en présentiel est plus simple à dire qu’à faire.
Il conviendra pour le manager et son équipe de distinguer les activités qui sont « télé-robustes », c’est à dire celles qui se prêtent favorablement au télétravail mais aussi celles « télé-fragiles », qui nécessitent à contrario une rencontre en présentiel. Si le manager est le garant de ce qui est négociable et de ce qui ne l’est pas, il aura toutefois intérêt à impliquer son équipe dans cette classification des activités pour s’assurer de leur adhésion. L’efficacité future du télétravail en dépend. On constate que les équipes qui ont mis en place un management participatif se sont adaptées plus facilement à cette nouvelle donne.
2. Créer des rituels efficaces
Les rituels sont pour l’équipe et le manager le « décret d’application » du cadre défini. Les rituels sont de deux natures : individuels ou collectifs.
Les rituels individuels permettent au manager d’accompagner chacun de ses collaborateurs en fonction de son degré d’autonomie, et d’être à l’écoute de son collaborateur sur les sujets professionnels mais aussi sur les sujets personnels. On ne peut plus « laisser les problèmes de la maison à la porte du bureau » comme pouvaient le demander certains managers de l’ancienne école à leurs équipes. Les sphères professionnelles et personnelles sont désormais imbriquées, en témoigne l’intervention lors des visios d’un enfant, d’un animal de compagnie ou du livreur…
C’est cette nouvelle compétence relationnelle que le manager va devoir apprendre à maîtriser pour maintenir la motivation de son collaborateur ou s’assurer de sa bonne santé mentale à distance.
Parmi les bonnes pratiques quotidiennes pour maintenir le lien avec la distance on retrouve le « bonjour du jour » et le bonsoir du soir » : deux temps d’échanges uniquement axés sur son collaborateur et son ressenti.
Un challenge supplémentaire pour les managers va consister à créer et animer les rituels collectifs en présentiel, à distance ou en mode hybride ! Ces rituels collectifs donnent le tempo, favorisent la cohésion et la cohérence du groupe. Mais attention à ne pas tomber dans une routine pesante qui conduira chaque
collaborateur à redouter ces instants d’échange, de partage ou de prise de décisions. Sans aller jusqu’à devenir un « G.O. » au sens du Club Med, le manager pourra être attentif à animer différemment ses réunions.
Brise-glace au début de la réunion, stand-ups meetings en présentiel, confier tour à tour l’animation de la réunion à un collaborateurs, favoriser les échanges entre pairs et les travaux en sous-groupes… La liste est longue des modalités d’animation sur lesquelles il pourra s’appuyer.
Les échanges informels entre collaborateurs se sont aussi raréfiés. Ils sont pourtant essentiels afin de fidéliser les équipes car, si ce qui motive c’est ce que l’on fait (le sens), c’est aussi avec qui on le fait ! Les mises en place d’afterwork, de déjeuner d’équipe sont autant d’occasion de renforcer le collectif.
3. Le défi managérial de l’accueil et de l’intégration
L’accueil des nouveaux entrants, jeunes comme expérimentés, était souvent un point faible de l’expérience collaborateur. La situation est encore plus préoccupante quand on y ajoute le travail hybride ou à distance. Inquiétant quand on sait que plus de 60% des ruptures de périodes d’essais sont le fait des salariés et que le coût d’un recrutement est en moyenne estimé à 50 K€ pour un cadre. Et ce sont les profils les plus rares et donc les plus employables qui hésiteront le moins à fuir !
En causes principales, on trouvera :
– La raréfaction des rencontres informelles
– La dimension toujours plus « transactionnelle » des rencontres c’est -à-dire « utilitaire », polarisée sur ce que l’autre peut apporter.
– Des managers trop proches ou trop distants
On imagine sans peine dans ces conditions la difficulté à se construire un réseau au sein de l’entreprise. Cela concerne aussi bien l’ampleur (le nombre de collègues) que la profondeur (la qualité de la relation). La fidélisation des nouvelles recrues passe par un appui indispensable pour les aider à construire leur réseau d’appartenance dans l’entreprise.
Face à l’ensemble de ces problématiques, il n’existe évidemment pas de solution miracle. Prendre conscience de ses forces et faiblesses est un premier pas évident pour le manager. Et comme on n’a encore pas trouvé de meilleur outil de management que le questionnement et l’écoute, engager le dialogue avec ceux qui vivent la réalité au quotidien permettra de faire un état des lieux.
C’est d’ailleurs essentiel pour l’intégration des nouveaux arrivants. Prendre simplement le temps de les questionner sur ce qui se passe bien, ce qui pourrait être amélioré et ce qui manque est un moyen simple d’identifier les besoins, variables d’un individu à l’autre.
Encore faut-il passer de l’idée à l’action. Pour cela, le manager pourra définir des points de passages réguliers avec sa nouvelle recrue, sur des temps fixés à l’avance et sanctuarisés dans son agenda. En faisant passer l’agenda de son collaborateur avant le sien, le manager démontrera ainsi la considération qu’il accorde à son nouveau collaborateur.
Ces rituels de rencontres et temps d’échanges informels sont autant d’occasions de donner des signes de reconnaissance, de valoriser les résultats du collaborateur et de réguler sa charge de travail en s’attachant à trouver le bon dosage entre rituels en distanciels et en présentiels.
Sur ce sujet des rituels pour les nouveaux, il existe deux erreurs encore trop fréquentes et souvent rattrapées par le service RH : la première est l’absence de considération portée au rapport d’étonnement quand celui-ci n’est pas tout bonnement traité par-dessus la jambe. La seconde erreur c’est l’oubli pur et simple de confirmer la fin de la période d’essai. Pourtant voilà une belle opportunité de fêter la fructueuse collaboration à venir !
4. Développer solidarité et entraide dans l’équipe
Les collaborateurs qui se sentent les plus productifs sont ceux qui ont développés des interactions internes variées et de qualité. Ils nourrissent un fort sentiment d’appartenance, proposent des idées nouvelles, prennent plus d’initiatives et participent davantage à des projets transverses.
Ils sont en quelque sorte l’adrénaline de l’entreprise qui lui donne cette capacité de se mobiliser pour créer des synergies, développer de nouvelles pratiques, imaginer le futur. Or ces forces vives affectionnent les interactions au-delà des organigrammes, du ronronnement routinier ou du fonctionnement matriciel. Si l’on y prend garde, les priver de cette coopération transversale, c’est mettre en danger la capacité à innover de l’entreprise mais aussi risquer de voir partir les talents les plus constructifs. Que le manager s’ouvre à l’intelligence collective et il verra la créativité de ses équipes décupler. Un engagement vertueux qui demande évidemment de la finesse dans la relation avec ses collaborateurs !
Afin de construire la coopération au sein de son équipe, le manager s’assurera Dans un premier temps que chacun puisse se sentir libre de s’exprimer librement sans crainte d’être « jugé » par les autres. Cette Psychological Safety selon Amy Edmondson est indispensable pour qu’une équipe fonctionne à son plein potentiel. Concrètement, cela consistera à recadrer avec tact tous comportements ou remarques même sibyllines qui pourraient affecter la « sécurité psychologique » d’un membre de son équipe.
Dans un second temps, il veillera à ce qu’il n’y ait pas de non-dits dans l’équipe. Ces derniers gangrènent la dynamique de l’équipe et conduisent souvent à des décisions calamiteuses par manque d’avis divergents au moment des prises de décisions. Un remède simple, au moment de la consultation de l’équipe, serait de considérer que « si tout le monde est d’accord c’est que quelqu’un n’a pas vraiment donné son avis ! ».
Le digital à la fois problème et solution ?
En point central, la réussite du manager dans cette nouvelle organisation hybride dépendra de sa capacité à créer un « proximité distanciée » avec son équipe. Celle-ci est avant tout une question de soft skills teintées de processus rigoureux pour maintenir le contact avec chacun.
On commence aussi à voir émerger des outils digitaux qui ne sont pas uniquement dédiés à la production et qui facilitent la mise en place de ces bonnes pratiques.
Reste à les adopter et les intégrer pour favoriser l’expérience collaborateur et se donner toutes les chances de préserver tous les avantages du travail à distance, tout en jugulant les externalités pénalisantes évoquées précédemment.
Finalement se pourrait-il que demain le digital fasse partie de la solution aux problèmes qu’il a lui-même créé ?