Depuis longtemps, les formations proposées aux managers les invitent à faire évoluer leurs postures plutôt que d’utiliser des méthodes et autres recettes de cuisine !
Les événements nationaux et mondiaux des 3 dernières années ont contraint les managers à se remettre en question et à revisiter leurs pratiques vis-à-vis de leurs équipes. Et c’est tant mieux !
Ces formations anticipaient l’avènement de la collaboration des générations X, Y et Z dans des organisations souvent obsolètes. La généralisation du télétravail total ou partiel est assurément le bouleversement qui chamboule le plus les anciennes pratiques
Les managers doivent s’adapter à cette nouvelle donne… et vite !
Aujourd’hui près de la moitié du temps de travail s’opère à distance1. Les résistances des organisations sceptiques à la mise en place à grande échelle du télétravail ont été balayées par les années covid. Pourtant, passées les contraintes sanitaires le retour à l’ancienne norme ne s’est pas produit. Est-ce parce que ses bénéfices sont si nombreux et tangibles ?
Avons-nous réussi la combinaison d’une meilleure qualité de vie au travail pour les salariés et d’une performance accrue pour les entreprises ?
Le fait que la possibilité de travailler à distance soit devenue un critère de choix déterminant pour les candidats à l’embauche (et même essentiel pour la dernière génération) est un indice.
L’expérimentation par les entreprises a démontré que la plupart des arguments des « antis-télétravail » ne se sont pas vérifiés. Ceci constitue aussi un élément de réponse.
Mais cette vision magnifiée ne masque-t-elle pas d’autres phénomènes, plus troublants, et par endroit alarmants, tant pour les entreprises que pour les collaborateurs eux-mêmes ?
L’équilibre de vie et l’engagement des salariés sont-ils au meilleur de ce qu’ils pourraient être ?
La productivité, la capacité d’innovation et in fine la performance des entreprises sont-elles optimales ?
Comment les managers peuvent-il agir pour que le télétravail apporte tous ses bénéfices sans les inconvénients ?
Managers : réussir la « proximité distanciée » avec vos collaborateurs
Le télétravail induit de facto une distance entre managers et leurs équipes. Tandis que les collaborateurs nourrissent des doutes sur ce que l’on attend d’eux, les managers mesurent plus difficilement le travail réellement accompli. Avec pour conséquence, soit d’ajouter indûment de la charge de travail sans en mesurer l’ampleur ou plus rarement l’inverse, ne pas en donner assez. Dans les deux cas, on risque la démotivation par la surcharge ou par l’ennui qui peuvent conduire au burn out ou au bore out.
Autre piège pour le management, l’hyper-contrôle, piège dans lequel la nature humaine tombe souvent pour remplacer la confiance par la preuve. Avec une conséquence directe : la sensation d’être « fliqué » et de vivre la performance sous une contrainte inutile. L’effet induit est tout aussi catastrophique si le manager tombe dans le laxisme ou le laisser aller. Le manque de cadre et de rigueur avec son cortège d’injustices ou de transgressions des règles dynamiteront la cohésion d’équipe.
La confiance interpersonnelle s’appuie sur un apprentissage fait d’engagements mutuels, de signes que l’on échange pour prouver sa confiance. Cette confiance, fondement de toutes communautés, se vérifie d’autant plus que ses membres vivent à proximité. L’exemple de la famille est le plus parlant.
Partant du postulat que proximité et confiance sont intriquées, recréer « à distance » un lien fort entre manager, équipes et collaborateurs est donc crucial.
1. Définir le cadre et impliquer son équipe
Les accords de télétravail dans les entreprises accordent souvent une marge de manœuvre importante aux managers dans leurs mises en application. Les entreprises confient aux bons soins de leurs managers la gestion des temps en présentiel et en distanciel et c’est tant mieux tant pour l’agilité de l’équipe que pour sa productivité. Mais l’organisation de l’équipe ne s’improvise pas : décréter que les réunions de brainstorming, d’idéation, de prise de décisions doivent se faire en présentiel est plus simple à dire qu’à faire.
Il conviendra pour le manager et son équipe de distinguer les activités qui sont « télé-robustes », qui se prêtent favorablement au télétravail, ou « télé-fragiles », qui nécessitent à contrario une rencontre en présentiel. Si le manager est le garant de ce qui est négociable et de ce qui ne l’est pas, il aura toutefois intérêt à impliquer son équipe dans cette classification des activités pour s’assurer de leur adhésion. L’efficacité future du télétravail en dépend. On constate dès lors que le management participatif est plus adapté à cette nouvelle donne.
2. Créer des rituels
Les rituels sont pour l’équipe et le manager le « décret d’application » du cadre défini. Les rituels sont de deux natures : individuels ou collectifs.
Les rituels individuels permettent au manager d’accompagner chacun de ses collaborateurs en fonction de son degré d’autonomie, et d’être à l’écoute de son collaborateur sur les sujets professionnels mais aussi dans une certaine mesure sur les sujets personnels. On ne peut plus « laisser les problèmes de la maison à la porte du bureau » comme pouvaient le dire nombre de managers de l’ancienne école. Les sphère professionnelles et personnelles sont désormais imbriquées, en témoigne l’intervention lors des visios d’un enfant, d’un animal de compagnie ou du livreur… C’est cette nouvelle compétence relationnelle que le manager va devoir apprendre à maîtriser pour maintenir la motivation de son collaborateur ou s’assurer de sa bonne santé mentale à distance. Parmi les bonnes pratiques quotidiennes pour maintenir le lien avec la distance on retrouve le « bonjour du jour » et le bonsoir du soir » : deux temps d’échanges uniquement axés sur son collaborateur et son ressenti.
Un challenge supplémentaire pour les managers va consister à créer et animer les rituels collectifs en présentiel, à distance ou en mode hybride ! Ces rituels collectifs donnent le tempo, favorisent la cohésion et la cohérence du groupe. Mais attention à ne pas tomber dans une routine pesante qui conduira chaque collaborateur à redouter ces instants d’échange, de partage ou de prise de décisions. Sans aller jusqu’à devenir un « G.O. » au sens du Club Med, le manager pourra être attentif à animer différemment ses réunions.
Brise-glace au début de la réunion, stand-ups meetings en présentiel, confier tour à tour l’animation de la réunion à un collaborateurs, favoriser les échanges entre pairs et les travaux en sous-groupes… La liste est longue des modalités d’animation sur lesquelles il pourra s’appuyer.
3. Le défi managérial de l’accueil et de l’intégration
L’accueil des nouveaux entrants, jeunes comme expérimentés, était souvent un point faible de l’expérience collaborateur. La situation est encore plus préoccupante quand on y ajoute le travail hybride ou à distance. Inquiétant quand on sait que plus de 60% des ruptures de périodes d’essais sont le fait des salariés et que le coût d’un recrutement est en moyenne estimé à 50 K€ pour un cadre. Et ce sont les profils les plus rares et donc les plus employables qui hésiteront le moins à fuir !
En causes principales, on trouvera pêle-mêle :
- la raréfaction des rencontres informelles,
- la dimension « transactionnelle » des rencontres c’est -à-dire polarisée sur ce que l’autre peut m’apporter
- des managers trop proches ou trop distants
On imagine sans peine dans ces conditions la difficulté à se construire un réseau au sein de l’entreprise. Cela concerne aussi bien l’ampleur (le nombre de collègues) que la profondeur (la qualité de la relation).
La fidélisation des nouvelles recrues passe par un appui indispensable pour les aider à construire leur réseau d’appartenance dans l’entreprise.
Face à l’ensemble de ces problématiques, il n’existe évidemment pas de solution miracle. Si la pratique du travail à distance n’est pas nouvelle, on ne peut pas dire qu’elle soit pour autant pleinement intégrée dans la culture de la plupart des entreprises.
Comme souvent les outils ont été mis à disposition sans mode d’emploi !
Un vademecum qu’il serait d’ailleurs vain de tenter de formaliser tant les réalités de terrain sont différentes d’une activité à une autre et même d’un poste à un autre.
Prendre conscience de ses forces et faiblesses est un premier pas évident. Et comme on n’a encore pas trouvé de meilleur outil de management que le questionnement et l’écoute, engager le dialogue avec ceux qui vivent la réalité au quotidien permettra de faire un état des lieux.
« Si vous voulez savoir comment manager quelqu’un…demandez-lui comment il souhaiterait l’être ». Cet adage semble couler de source mais combien d’entre nous ont le souvenir d’avoir eu à répondre à cette question ?
Il en va de même pour l’intégration des nouveaux arrivants. Prendre simplement le temps de les questionner sur ce qui se passe bien, ce qui pourrait être amélioré et ce qui manque est un moyen simple d’identifier les besoins, variables d’un individu à l’autre.
Encore faut-il passer de l’idée à l’action. Un exercice que la distance, comme nous l’avons évoqué, ne simplifie pas.
Ce sont notamment les rituels de rencontres mais aussi les temps d’échanges informels dont la disparition a indubitablement entamé ces liens de confiance qui sont à réinventer. Ils étaient autant d’occasions de donner des signes de reconnaissance, de valoriser les résultats du collaborateur et de réguler sa charge de travail. Le manager devra s’attacher à trouver le bon dosage entre rituels en distanciels et en présentiels.
4. Développer la coopération et les transversalités
Les collaborateurs qui se sentent les plus productifs sont ceux qui ont développés des interactions internes variées et de qualité. Ils nourrissent un fort sentiment d’appartenance, proposent des idées nouvelles, prennent plus d’initiatives et participent davantage à des projets transverses.
Ils sont en quelque sorte l’adrénaline de l’entreprise qui lui donne cette capacité de se mobiliser pour créer des synergies, développer de nouvelles pratiques, imaginer le futur. Or ces forces vives affectionnent les interactions au-delà des organigrammes, du ronronnement routinier ou du fonctionnement matriciel. Si l’on y prend garde, les priver de cette coopération transversale, c’est mettre en danger la capacité à innover de l’entreprise mais aussi risquer de voir partir les talents les plus constructifs. Que le manager s’ouvre à l’intelligence collective et il verra la créativité de ses équipes décupler. Un engagement vertueux qui demande évidemment de la finesse dans la relation avec ses collaborateurs !
Le digital à la fois problème et solution ?
On commence pourtant à voir émerger des outils digitaux qui ne sont pas uniquement dédiés à la production et qui facilitent la mise en place de ces bonnes pratiques. Reste à les adopter et les intégrer pour favoriser l’expérience collaborateur et se donner toutes les chances de préserver tous les avantages du travail à distance, tout en jugulant les externalités pénalisantes évoquées précédemment.
Se pourrait-il que le digital fasse partie de la solution aux problèmes qu’il a lui-même créé ?